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Mozambique: La "forteresse" gazière de TotalEnergies alimente la colère locale et les craintes d'insurrection
information fournie par Reuters 13/11/2025 à 14:21

Un soldat des forces de sécurité rwandaises passe devant un camion brûlé au port de Mocimboa da Praia, au Mozambique

Un soldat des forces de sécurité rwandaises passe devant un camion brûlé au port de Mocimboa da Praia, au Mozambique

par Custodio Cossa et Nellie Peyton

Fernando Cuna espérait que la reprise du projet de gaz naturel liquéfié (GNL) de TotalEnergies au Mozambique attirerait davantage de clients dans son hôtel. Pourtant, après quatre années d'attente, les employés du groupe pétrolier et gazier demeurent invisibles.

À Palma, ville côtière proche du site exploité par TotalEnergies, des Mozambicains comme cet hôtelier de 59 ans ont investi dans l'hébergement, la restauration et les transports en espérant bénéficier du projet à 20 milliards de dollars (17,15 milliards d'euros) du géant français.

Suspendu en 2021 en raison d'attaques islamistes qui ont fait des dizaines de morts à Palma, le projet de TotalEnergies va finalement reprendre après la levée en octobre de l'état de force majeure. L'optimisme naissant de la communauté locale, où le revenu moyen des ménages est inférieur à un dollar par jour, s'est vite dissipé.

Pour sécuriser ses installations, situées sur la péninsule d'Afungi à environ 20 kilomètres de Palma, TotalEnergies a en effet adopté un "mode de confinement" pour opérer sur le site, à partir d'une enceinte géante accessible uniquement par voie maritime ou aérienne.

DES ESPOIRS DE RETOMBÉES ÉCONOMIQUES ANÉANTIS

Bien que l'activité du site gazier se soit intensifiée au cours des derniers mois, les habitants de Palma ont vu s'effondrer l'économie fragile de la ville faute des retombées financières espérées. Ce projet vise à propulser le Mozambique, l'un des pays les plus pauvres au monde, parmi les dix premiers exportateurs de gaz d'ici 2040.

Les employés de TotalEnergies sont ainsi transportés par avion jusqu'à l'usine, tandis que les fournitures arrivent principalement par bateau.

Selon des entrepreneurs locaux, des représentants de la société civile et des spécialistes de la sécurité, cette approche isole les communautés locales et pourrait attiser le ressentiment à l'égard des promoteurs occidentaux et du gouvernement, aggravant ainsi une insurrection qui a débuté en 2017.

"Palma est devenue un désert", déplore Fernando Cuna. Selon l'hôtelier, jusqu'à récemment, certains ouvriers et fournisseurs étaient basés à Palma avant de déménager à l'intérieur de l'enceinte du site.

Son établissement demeure vide et les chauffeurs de moto-taxi attendent désespérément les clients. "La frustration grandit", a-t-il confié par téléphone.

Interrogé à propos de l'impact sur la population locale, TotalEnergies renvoie vers les déclarations de son directeur général au Mozambique, Maxime Rabilloud, lors d'une réunion en septembre avec le secteur des affaires de Palma.

Maxime Rabilloud a expliqué que le confinement des employés pour des raisons de sécurité était une procédure normale pour des projets de grande envergure, et que TotalEnergies n'avait pas l'intention de réduire les achats locaux.

"Au contraire, avec la levée de la force majeure, nous allons accroître la participation économique locale", a-t-il assuré, cité par le site d'information 360 Mozambique. Il a ajouté qu'une grande partie de la nourriture destinée aux quelque 2.000 ouvriers provenait de sources locales.

AUGMENTATION DES ATTAQUES CONTRE LES CIVILS

Les forces rwandaises déployées depuis 2021 dans la province de Cabo Delgado, dans l'extrême nord du pays, ont aidé l'armée mozambicaine, mal équipée, à reprendre des villes clés et à réduire le nombre d'insurgés, de quelque 3.000 à environ 500, selon les analystes.

Les attaques se sont toutefois multipliées ces derniers mois, selon les données de l'observatoire des conflits ACLED. Les Nations unies ont déclaré que la violence contre les civils était en passe d'atteindre un niveau record en 2025.

"La péninsule d'Afungi est extrêmement sûre, presque comme une forteresse, alors qu'à l'extérieur, nous voyons les attaques des insurgés augmenter", relève Nicolas Delaunay, analyste d'International Crisis Group.

"La reprise des opérations dans le contexte sécuritaire actuel envoie à la population de Cabo Delgado le message que le gouvernement donne la priorité à l'exploitation des ressources plutôt qu'à leur bien-être", ajoute-t-il. "Cela renforce les griefs à l'origine de l'insurrection."

Le gouvernement mozambicain a déclaré que la sécurité s'était améliorée et a nié avoir négligé les civils.

"Pour le gouvernement, le plus important est que le projet commence - afin que les gens, y compris les communautés locales, puissent travailler et avoir des moyens de subsistance beaucoup plus diversifiés", peut-on lire dans une réponse écrite.

Le président du Mozambique, Daniel Chapo, doit encore donner son feu vert aux nouveaux budget et calendrier de TotalEnergies, qui prévoit un début de production en 2029.

Le groupe affirme que les coûts ont augmenté de 4,5 milliards de dollars pendant le gel et souhaite que la période de développement et de production soit prolongée de 10 ans en guise de compensation partielle.

Étant donné que les revenus du gaz serviront d'abord à rembourser les coûts du projet, le Mozambique ne recevra pas de revenus significatifs avant au moins une décennie - et Maputo s'oppose à toute augmentation du budget qui pourrait retarder ce processus.

LES ENTREPRISES LOCALES RACONTENT LEURS PERTES

Cinq hommes d'affaires de Palma ont déclaré à Reuters qu'ils avaient perdu des clients ou des investissements à cause du confinement de TotalEnergies.

L'un d'eux a déclaré qu'un sous-traitant avait annulé son contrat de restauration après avoir déménagé à l'intérieur de la zone sécurisée. Un autre explique que ses produits s'abîment, faute d'acheteurs.

Abdoul Tavares, coordinateur provincial du Centre pour la démocratie et les droits de l'homme du Mozambique, décrit une frustration et un découragement perceptibles chez les jeunes de la région.

"Beaucoup ont investi leur temps et leurs ressources dans l'espoir de rejoindre le marché du travail ou de voir leur petite entreprise intégrée au projet. Ce modèle d'enclave réduit ces attentes à néant."

À Cabo Delgado, les taux de malnutrition, d'analphabétisme et de diplômes sont inférieurs à la moyenne nationale, selon l'Unicef, l'agence des Nations unies pour l'enfance.

Les communautés côtières du Mozambique appartiennent pour la plupart à un groupe ethnique différent de celui des élites politiques et se sentent depuis longtemps marginalisées.

Le redémarrage du projet du groupe pétrolier et gazier français "alimente directement le message des insurgés selon lequel ce gouvernement n'est pas digne de confiance, (qu'il) cherche à profiter des pauvres, en particulier des pauvres musulmans", résume Emilia Columbo, une ancienne analyste de la CIA.

LES TROUPES RWANDAISES LUTTENT POUR CONTENIR LES ATTAQUES

Dans une lettre adressée à Daniel Chapo, TotalEnergies cite la présence continue des forces rwandaises comme motif de confiance.

Quatre analystes en sécurité soulignent cependant que les troupes sont devenues passives, menant moins d'offensives et réagissant lentement, ou pas du tout, aux attaques.

Le porte-parole de l'armée rwandaise, Ronald Rwivanga, a déclaré que les assaillants étaient "dans une certaine mesure" devenus plus difficiles à combattre.

Chassés de leurs anciens bastions, les combattants islamistes sont désormais basés dans la forêt de Catupa, à environ 140 km au sud de Palma. Ronald Rwivanga a précisé que les troupes rwandaises élargissaient leur périmètre d'opérations "pour faire face à la situation".

Selon Peter Bofin, analyste principal à l'ACLED, l'attitude des communautés locales à l'égard des insurgés pourrait également constituer un défi. Il note que ces derniers sont plus téméraires dans leurs actions, signe selon lui de leur confiance dans le silence des populations.

De retour à Palma, Manchuma, un homme d'affaires de 44 ans qui a déclaré avoir perdu son contrat de restauration et a demandé à n'utiliser que son prénom par crainte de représailles, raconte qu'il a dû licencier des employés et qu'il lui reste du matériel inutilisé.

"Si j'avais su que les choses tourneraient ainsi, je n'aurais jamais investi autant d'argent pour construire dans un endroit sans avenir", témoigne-t-il.

(Reportage Custodio Cossa et Nellie Peyton ; avec America Hernandez à Paris et Wendell Roelf au Cap ; version française Etienne Breban ; édité par Sophie Louet)

2 commentaires

  • 14:57

    Ce n'est pas à l'industriel, en l'occurrence Total, d'assurer la sécurité en ville et encore moins dans le pays, mais bel et bien aux autorités locales. Et avec les énormes rentrées d'argent de ce projet à long terme, ce ne sont pas les moyens qui manquent. À moins que cet argent ne soit détourné par les personnes au pouvoir.


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